No.MaD (PROJET)

par Mā  -  7 Juin 2021, 13:16  -  #Textes

PROJET ITINERANT

Installation & Performances en Occitanie


      Nous vivons une époque hautement technologique. De la même façon que l’homme a découvert la maîtrise du feu, des outils, de l’énergie et des machines, nous sommes confrontés aujourd’hui à des choix décisifs pour l’humanité. Face à la nostalgie d’une Nature idéalisée et réduite à un sanctuaire (sorte d’Eden perdu témoin de nos origines, où l’animal devenu homme - c’est-à-dire ayant conscience de son horizon eschatologique - doit faire des choix face à l’« arbre de la connaissance »), nous sommes confrontés à une déréalisation du monde par l’omniprésence technologique des écrans, qui met sur le même plan visuel des captations du réel et de multiples mondes imaginaires, virtuels et parallèles. Dans cette profusion d’images, le cerveau et l’inconscient ne peuvent plus distinguer le monde réel de ses multiples reflets. Un immense kaléidoscope éclate notre lien au réel en mille morceaux, et chaque individu cherche désespérément à reconstruire autour de lui un lien signifiant dans une bulle communautaire, identitaire, etc…

 

      A travers l’actuation corporelle des performances, nous souhaitons rétablir des liens émotionnels entre l’image et la perception plus subtile d’une réalité où nous serions plongés ensemble, connectés les uns aux autres par la vibrance du vivant. Le vivant, c’est-à-dire la capacité à se transformer, à s’accorder, à évoluer ensemble… à travers les multiples dimensions de l’imaginaire, du réel et du symbolique. Notre projet est de questionner l’ambivalence de notre relation à la technologie, notre contrôle et notre dépendance à ses objets connectés qui (ont déjà) créé un monde nouveau auquel nous devons chaque jour nous adapter. Hyper-contrôle, sensation de toute puissance et/ou sensation d’impuissance totale face à des objets dont nous ne maîtrisons pas le langage et qui nous imposent leurs fonctionnements, réduisant le champ du libre arbitre à remplir /ou pas - une case dans un formulaire, donner des codes d’activation, se soumettre totalement à l’absence de dialogue possible entre l’homme et la machine. A ce jeu-là, l’humain passe au second plan, sa vulnérabilité émotionnelle, sa capacité de nuances, la richesse de son langage non-verbal, sont perçus comme des failles dans un système rigide et sans nuances, qui impose sans émoi un ordre « supérieur », rationnel, rentable, froid.

 

      Ce qui est en train d’arriver au monde est glaçant. Cela nous rappelle étrangement des logiques de pensées déshumanisantes du début du XXème siècle, qui traitent l’humain et l’animal comme des objets, découpant l’être vivant entre une affectivité émotionnelle et un détachement scientifique désincarné. Quel est l’avenir de l’être humain ? Le transhumanisme est-il la voie ? Face aux séductions des mondes virtuels, comment pouvons-nous utiliser la technique sans en devenir les esclaves ? Comment pouvons-nous rester conscients et responsables de nos choix ? La technologisation du monde peut-elle être autre chose qu’un outil de domination des uns sur les autres ? Quelle est notre marge de manœuvre face à un clavier et une souris ?

 

      Nous ne prétendons pas répondre à ces questions mais nous souhaiterions impliquer chacun dans une réflexion en menant des actions poétiques dans l’espace public, en itinérances sur le territoire de l’Occitanie. Il s’agit de développer un projet en trois étapes. Nous envisageons une collaboration avec plusieurs corps de métier (soudeur, mécanicien, informaticien, électronicien, musicien, photographe, vidéaste, etc…). Le processus de coopération fait partie intégrante de l’œuvre comme réalisation collective et multidimensionnelle. 

 

      La première étape est de réaliser deux sculptures, sortes de totem partenaires des performances. A la fois opposées et complémentaires, comme le Yin et le Yang alliant les valeurs pacifiques et les vertus guerrières, nous envisageons un dialogue entre une sculpture florale, légère et mobile comme la soie dans le vent, et une sculpture métallique, bardée de capteurs, détecteurs de mouvements, caméras, scalpels, codes, chiffres et symboles. Chaque sculpture contiendra son antidote : épines ou extensions carnivores pour la « fleur » ; plumes, œufs, fils délicats ou parties molles pour le « robot ». 


 

     

      Plutôt que d’opposer la Nature à la Technologie, nous souhaitons trouver un équilibre entre les aspects d’une seule et même réalité, une harmonie dans leur possible interaction. Car la Nature peut être parfois impitoyablement cruelle, terrifiante et dévastatrice, et d’autres fois merveilleusement bienveillante, douce, clémente, et prodigue. Nous souhaitons révéler la fragilité et la délicatesse comme aspect précieux de l’existence, ce qui nous rend sensibles aux autres et capables de dialogues. L’adaptation n’est plus alors synonyme de soumission mais de résilience. Nous sommes responsables individuellement de nos choix, des valeurs que nous transmettons à nos enfants ; responsables de cultiver notre propre capacité d’écoute et d’émerveillement devant la Vie. Il s’agit de réconcilier les opposés dans une quête d’unité et d’harmonie, de révéler les forces opposées comme complémentaires, d’allier l’esprit et le cœur, l’intellect et les sentiments, l’intelligence et l’instinct, dans un équilibre mouvant de transformations et d’alternance.

 

      La deuxième étape est de réaliser une série de performances en itinérance. Nous souhaitons proposer des interventions performatives permettant une interaction subtile entre le public et l’installation par la médiation corporelle du performeur, lors d’actuations ponctuelles et poétiques dans l’espace public et/ou dans le cadre d’expositions de nos tableaux et sculptures sur le thème de la Nature.

 

      Il s’agit de développer la conscience de notre vulnérabilité humaine et la puissance du sensible, en utilisant les outils de transformation implicites dans la pratique de la danse butō alliée à celle du clown : décalage, humour, tristesse et joie sont intimement liés pour déjouer les pièges des conflits liés à une vision binaire et polarisée de l’Existence… A la manière du Colibri de l’histoire, nous souhaitons ainsi « faire notre part » minuscule, pour contribuer à dénouer les tensions inhérentes à nos sociétés devenues si complexes et trouver des voies alternatives aux conflits. Il s’agit de désamorcer les oppositions, en allant vers plus de compréhension, de légèreté, et de joie.

 

      Nous envisageons pour cela d’incarner un personnage-médiateur, capable de multiples transmutations… Parfois "Pierre-immobile-et-contemplative-couverte-de-lichens-et-de-mousse" ; parfois "Salamandre-aux-aguets" ; parfois "Moine-mendiant-en-haillons-dessinant-sur-le-sol-à-la-craie" ; parfois "Chrysalide-émergeant-du-cocon" ; parfois "Enfant-jouant-à-la-marelle-entre-Terre-et-Ciel"… etc… etc…) Par sa présence poétique et décalée, évoluant avec le public entre les deux sculptures, ce personnage se souviendra que la vie est un épanouissement de chaque instant, en mouvement dans l’inspir et l’expir de l’univers, et non une équation à résoudre…

 

      Le troisième volet de ce projet consiste en la réalisation d’un montage vidéo subjectif, à partir des captations effectuées lors du voyage. Dans ce dernier temps de synthèse, nous souhaitons utiliser la collecte d’images et de sons réalisées au cours de l’itinérance pour questionner le lien phénoménologique entre une expérience subjective incarnée et un réel collectif, à travers la réciprocité du lien voyant/vu, sentant/senti, percevant/perçu…

 

     En lien avec les lieux, les êtres humains, les paysages, les captations diverses réalisées par nous ou d’autres intervenants, durant les performances - les sculptures contenant des caméras intégrées - mais aussi lors des déplacements dans les différents espaces, donneront lieu à une matière visuelle, et nous souhaitons puiser dans la richesse de ces mémoires comme reflets d’un parcours intérieur pour questionner les enjeux de nos rencontres avec le réel et l’identité d’un territoire. 

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