Les Portes de la Perception

par Mā  -  21 Août 2024, 13:02  -  #Textes

 « Tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n'est pas ici n'est nulle part. »

André Van Lysebeth

Que penser de cette affirmation contre-intuitive ? Y a-t-il un au-delà d'"ici", ou peut-être un au-delà de nos perceptions immédiates ? Voici quelques mots pour nous inviter à une réflexion profonde sur la nature de notre perception et sur la place que nous occupons dans l'univers.

Ce qui est ici, palpable, est ailleurs diffus, mystérieux, voire invisible. Ce qui échappe à notre perception semble s'évaporer dans l’absence et le néant de la non-existence. Alors, qu’est-ce qu’"ici" ? Et qu’est-ce que "ailleurs" ?

En tant qu'êtres humains, nous percevons le monde au travers d'un prisme limité : notre corps. Doté des cinq sens qui forment la base de notre rapport immédiat à notre environnement, et presque nos « seuls » instruments de mesure - le toucher, la vue, l'ouïe, le goût et l'odorat – nous pouvons découvrir, appréhender,  savourer « la chair du monde » dont nous faisons nous même partie.

Pourtant, ces sens ne capturent qu'une infime partie de la réalité. Comme l'a exprimé le philosophe Merleau-Ponty, notre perception est incarnée, ancrée dans notre corps, mais elle est aussi toujours incomplète. Le visible cache l'invisible, et l'invisible est toujours là, latent, prêt à être révélé par un autre regard, un autre outil, ou une autre intuition.

Car nous avons aussi ce sixième sens qu’est l’intuition. Elle dépasse les limites de nos perceptions physiques, nous permettant de saisir ce qui échappe à l’analyse directe. L'intellect, que l’on pourrait qualifier de septième sens, quant à lui, analyse, découpe, modélise. Il crée des ponts entre les perceptions, cherche à comprendre ce qui est ici et ailleurs. Enfin, notre imagination, ce huitième sens, permet de donner corps à ce qui n'est pas encore perçu, de créer des mondes dans l'espace du possible, de rendre visible ce qui, à première vue, semblait nulle part.

L’histoire de l’humanité est celle d’une quête perpétuelle pour transcender ces limites. Nos sens, comme des antennes fragiles, sont prolongés par des outils, des instruments de mesure, des télescopes et des détecteurs, nous permettant de révéler des dimensions de l’univers jusqu’alors inaccessibles.

Par exemple, un télescope a permis lors d’une éclipse solaire en 1919, de vérifier la courbure de l’espace-temps - prouvant que ce que nous percevions comme une ligne droite n’en était pas vraiment une. En 2015, les détecteurs LIGO ont capté des ondes gravitationnelles, ces échos d’événements cosmiques lointains et puissants, révélant ainsi l’existence des trous noirs. Ces découvertes, basées sur des prédictions faites bien avant que nous puissions les mesurer, montrent que notre univers est bien plus vaste, complexe et mystérieux que ce que nos sens seuls nous laissent percevoir.

La phrase de Van Lysebeth peut alors être interprétée comme un appel à élargir notre conception de l’espace et du temps. Ce qui est ici, à portée de main ou de vue, n’est qu’une partie de la réalité. Derrière chaque perception se cache une multitude d'autres, potentielles, invisibles. Notre ici est lié à un ailleurs plus vaste, et notre incapacité à le percevoir ne signifie pas qu'il n'existe pas. Les étoiles, bien que cachées par la lumière du jour, continuent de briller dans l'immensité du cosmos.

Si nos sens étaient parfaitement développés, peut-être pourrions-nous percevoir cette unité, sentir l'écho des galaxies dans le moindre souffle de vent, ressentir la courbure de l’espace-temps dans chaque mouvement.

Finalement, l’affirmation contre-intuitive de Van Lysebeth nous invite à reconnaître que le monde que nous percevons n’est qu’une version fragmentée et partielle de la réalité. "Enfer" et "Paradis", sont à pile ou face des mots qui décrivent les limites de notre expérience sensorielle entre des territoires imaginaires et temporels plus ou moins confortable...

Mais l’univers existe en permanence, avec ou sans notre regard. Tout est lié, tout est continu. Peut-être que l’essentiel est justement dans cette reconnexion avec l’unité du monde, dans cette acceptation que, même si nous ne percevons pas tout, tout est déjà là, ici et maintenant.

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