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Au-delà du symbole chrétien, la croix est un des plus anciens symboles de l’humanité. Je l’utilise dans mon travail comme acte fondateur, repère originel du temps et de l’espace, où mon geste pose la possibilité d’une existence ici et maintenant. Ce geste symbolise le dépassement des contraires, ce long chemin de traversée entre disparition et renaissance, ce fragile point d’équilibre entre passé et avenir…
La croix figure parmi les quatre symboles fondamentaux, avec le centre, le cercle et le carré. Naissance du langage, premiers signes d’appropriation, signe sacré, le symbole de la croix apparaît dès la plus Haute Antiquité, en Egypte, en Chine, en Crète. Symbole de fertilité dans la tradition païenne, elle fut utilisée par les Assyriens pour représenter le Dieu du Ciel, et par les Chinois pour symboliser la Terre, preuve s’il en est que les symboles font l’objet d’interprétations qui n’ont rien d’universel.
Dans notre monde occidental la croix est associée au christianisme et perçue comme signe de négation, de deuil, de disparition, mais aussi de résurrection. La croix est tout à la fois un signe distinctif marquant un territoire ou un objet, ou posant un repère sur une carte, un symbole mathématique d’addition, la signature de l’illettré, ou encore un symbole de guérison indiquant la présence d’une pharmacie ou d’un centre de premiers secours.
La croix est avant tout une orientation de l’espace, et donc la possibilité d’un centre, d’une origine : je suis ici, maintenant, j’existe. Depuis les temps les plus anciens (dans l’art africain comme dans les villes romaines, basées sur le Cardo et le Decumanus), la croix indique les quatre points cardinaux, les quatre directions de l’espace. Ce symbole évoque une silhouette humaine les bras écartés, et représente le point de jonction, le centre où se tient l’« arbre cosmique » (connu dès la Mésopotamie), qui relie les trois régions cosmiques (Ciel, Terre, Enfers) représentant l’univers dès les époques les plus archaïques. Rencontre de l’axe horizontal (féminin), et vertical (masculin), la croix désigne l’union des contraires[1] : lien entre le ciel et la terre, le temps et l’espace, le spirituel et le matériel.
Dans le système symbolique chinois, le centre de la croix renvoie à ce lieu où les directions opposées se rencontrent et s’équilibrent, à la notion de « non-agir » propre au Tao. Nyoiti Sakurazawa[2], explique que dans le Yi King, quand les bâtons de Logos[3] sont disposés en croix, ils ne sont ni Yin ni Yang, mais représentent la communion entre Yang et Yin, l’équivalent du Tàijítú, symbole du Tao.
Signe de disparition et de renaissance, mais aussi signe de la rencontre et de l’équilibre, symbole de l’harmonie, la croix symbolise la totalité du monde, et structure notre être en même temps qu’elle structure notre rapport à l’univers.
Mā Thévenin
[1] « Le symbole de la croix est une union des contraires, qu’il faut rapprocher du Kona (union du Yin et du Yang) comme de la Tertaktys pythagoricienne » René Guénon.
[2] Philosophe japonais cité par Antoni Tàpies dans « Les croix, les x et autres contradictions », introduction au catalogue de l’exposition «Tàpies », Galerie Nationale du Jeu de Paume, Paris, 1994.
[3] Bâtons portant une encoche d’un seul côté et représentant alternativement le Yin (trait brisé) et/ou le Yang (trait plein), -les deux aspects complémentaires du même Un- et qui, combinés de multiples façons, représentent l’ensemble des phénomènes de l’Univers.